Le 22 février 1913 le vapeur Gorbea-Mendi entre dans la forme n°1 à Brest. C'est le premier bateau pour la réparation navale civile du tout récent port de commerce, c'est aussi la première forme de radoub non militaire. Le 18 mai 2012 le Princimar Strength entre dans la forme n°2 pour effectuer une expertise technique. Il est suivi par le Windsor Knutsen. Après une forte mobilisation syndicale l'espoir est-il permis? Entre les dates précitées beaucoup d'évènements se sont passés. L e texte ci-dessous vous en dit davantage.

Petit lexique de la réparation navale civile à Brest.

Nous ne voulons, surtout pas, vous emmener dans le détail des métiers liés à cette réparation navale. En effet nous respectons le travail de mémoire fournit par les syndicats et les anciens métallos/caréneurs se trouvant en l'association Caisse à Clous dont voici le site très élaboré: www.caisseaclous.infini.fr, en sachant que d'autres existent aussi. Ce blog vous invite, aussi, à voir ou à revoir ses billets concernant la refonte de la cale de radoub dîte Forme1

Voici les dates clés de la réparation navale civile en sachant que bien des archives ont été détruites, avec le chantier, à la fin de la seconde guerre mondiale suite à l'intense pilonage du port de Brest.

  • 1913 - Mise en service de la Forme1 considérée come une des plus grandes cales sèches du monde. Elle mesure 225 m de long pour 27 m de large.
  • 1935/1939 - La Société Anonyme des Chantiers Dubigeon est installée dans des ateliers au 1er bassin situé à l'ouest du port de commerce. Dans la forme de radoub sont réparés des navires de commerce français et des chalutiers à vapeur.
  • 1939/1945 - Pendant la guerre le chantier continue son activité, par obligation, sous la surveillance des allemands désireux d'utiliser ce bel outillage.
  • 1945 - Les ateliers sont détruits par les bombardements. La cale sèche est très endommagée et donc inutilisable
  • 1950 - Les Ateliers Chantiers Dubigeon s'installent dans le Magasin J (loué à la CCI) ce, à proximité de la forme de radoub. Ils englobent les bureaux de la direction, les ateliers de mécanique, de tôlerie et de tuyautage. Sachons que Dubigeon est un grand nom de la construction navale à Nantes, où l'entreprise est née en 1760.
  • 1963 - La fusion avec les Chantiers Réunis Loire-Normandie donne naissance à Dubigeon-Normandie
  • 1968 - Dubigeon-Normandie cède son activité Réparation Navale à la Société "Ateliers et Forges de l'Ouest" qui outre son Chantier de St Nazaire possède deux autres établissements: un petit chantier à Brest et une agence à Donges. La nouvelle société prend le nom de "Ateliers Français de l'Ouest".
  • 1968 - Mise en service de la Forme 2 (338 m x 55 m) située plus à l'est. Cette cale est conçue à partir des plans des super pétroliers en construction à St Nazaire, les VLCC (pour Very Large Crude Carrier) de 220000 TDW de la classe "M" de la Shell (Magdala).
  • 1969 - Début de l'activité internationale du Chantier qui, bien vite, cause de grandes difficultés de compréhension: un peu du fait de la langue (2 personnes seulement parlent un anglais approximatif), beaucoup du fait des différences de culture. En 1970 Les A.F.O. embauchent un Ingénieur Norvégien, qui ne parle pas français (il apprendra très rapidement!). Le Chantier a des Agents en Grande-Bretagne, en Norvège et en Allemagne.
  • 1973 - Entre le mois d'octobre 1973 et le mois de janvier 1974 le prix du baril, du brut de référence l'«Arabe léger», est quadruplé et provoque un choc pétrolier qui se fait sentir très vite à Brest.
  • 1975 - les AFO comprenant Brest St Nazaire et Donges sont repris par le Chantier de Normandie (Rouen, Le Havre, Dieppe) qui adopte le nom "Ateliers Français de l'Ouest" ce qui semble judicieux du fait de la renommée internationale du site brestois. Ces nouveaux AFO ont donc des Etablissements à Rouen (siège social), au Havre, à Brest, à St Nazaire et à Donges. Bientôt ils reprendront aussi le Chantier Caillard du Havre.
  • 1979 - La fermeture du canal de Suez de 1967 à 1975 conforte l'idée de construire des supers-tankers qui passerons par le cap de Bonne Espérance au sud du continent africain. Brest construit donc une super forme de radoub. Mise en service, en 1979, elle peut recevoir les plus gros pétroliers du monde, les ULCC (pour Ultra Large Crude Carrier) de 550000 TDW de la Shell française en construction à St Nazaire.
  • 1980 - La Forme 3 acueille son premier navire. C'est le "LICORNE PACIFIQUE" du type OBO de 264 596 t. de port en lourd.
  • 1980/1981 - Construction de l'Atelier de Chaudronnerie au bout de la Forme 3. Malgré des problèmes de sous charge, les AFO continuent à embaucher pour satisfaire aux engagements pris avec l'État.
  • Au début des années 80 - Brest accueille presque uniquement des VLCC. L'effectif s'est accru régulièrement. Le Groupe AFO est fort de près de 3500 personnes, le Chantier de Brest comptant près de 900 personnes. La mise en service de très grandes cales sèches au Golfe Persique.et la concurrence européenne (Lisnave à Lisbonne, Verolme, Wilton Fijenord à Rotterdam, Blohm + Voss à Hambourg, Bremer Vulkan à Brème) vont inciter les armements pétroliers à rapidement changer leurs habitudes pro-"nord européennes".
  • 1985 - Le Groupe AFO traverse une crise grave. Restructuration du capital. Création des Ateliers Réunis du Nord et de l'Ouest (ARNO), premiers licenciements qui voient les effectifs de Brest réduits de plus de 200 personnes. L'Etat s'engage à aider le Chantier sur plusieurs années.
  • 1986 - Changement de gouvernement. Au cours du mois de juillet, J. Chirac, 1er ministre, annonce la suppression des aides dégressives qui avaient été programmées sur 3 ans.
  • Septembre 1986: plus de travail... Décembre 86: les ARNO licencient ~1500 personnes sur un total déjà réduit à 1850 personnes, et ferment le site brestois (550 personnes).
  • Début année 1987 - L'idée de construire L'Espoir est vive afin d'être le symbole de la lutte salariale
  • Avril 1987 - .Démarrage par le Groupe Meunier d'une nouvelle société, la SOBRENA, qui comprend 110 personnes. Elle est dénommée la Société Meunier Naval, branche des Ets François Meunier reprenant les bâtiments, et environ 50 autres personnes.
  • 2011 - Un départ en forme de fuite secrète l'inquiétude chez les salariés de la Sobréna. L'étrave est déterrée et devient L'EspoirII en novembre 2011.
  • 30 mars 2012 - Le tribunal de commerce de Brest juge que la société hollandaise Damen est la mieux placée pour reprendre la Sobrena, la société brestoise de réparation navale, leader de la réparation navale civile en France, en redressement judiciaire depuis quatre mois.
  • Les 18 et 20 mai 2012 - Nous sommes heureux de constater que des pétroliers sont entrés en forme de radoub. Certains salariés ont choisi de partir vers d'autres horizons, certains de la sous-traitance espèrent une reprise plus prononcée. Les employés et ouvriers restés au sein du groupe Damen Shiprepair Brest souhaitent de nombreux Princimar Strength ou autre Windor Knutsen.
  • Mois de juin 2012 - Le moral est dans l'espoir car les salariés sont confiants dans leur nouveau repreneur, tout en sachant que rien n'est jamais acquis sans une vigilance syndicaliste.

Sources: Syndicat CGT et Wiki-Brest avec ajouts portde.info


Parlons d'elle, surtout d'elle

Nous étions si fiers de bosser en ces formes de radoub pleines de bateaux. Il se disait que nos chantiers n"avaient pas d'égal en Europe en tant que performances techniques. Puis patatras le cahier de charges n'avait plus que des pages blanches. Nos revendications déservaient, paraît-il, la venue de nouvelles unités. Alors les ARNO ont périclité puis abandonné le site. Nous sommes montés au créneau et une grève partie de cette année 1986 reste encore dans les esprits de 2011/2012. Les contacts avec les forces de l'ordre ont été âpres mais nous avons tenu ferme et la Sobréna est arrivée laissant, tout de même, pas mal de gars sur le pavé. Ah oui l'étrave "L'Espoir" tu crois que çà a pesé? Te rappelles-tu, vieille canaille, comment cette idée de la construire a germé afin de prouver notre fiabilité professionnelle? Texte venant d'une mémoire ouvrière.


24 années plus tard le cauchemar recommence. Un homme s'en va abandonnant des dizaines et des dizaines de familles à leur sort. Les métallos et autres caréneurs sont mis devant le fait accompli. Après la stupéfaction vient l'organisation d'un mouvement prônant la reprise du chantier par un nouvel acquéreur. Le temps est long lorsque l'on s'interroge sur son devenir. Les délégués syndicaux ne lâchent rien et de la terre est extraite la carcasse d'acier de l’emblématique étrave. Avec fierté les salariés de l'ex-Sobréna tractent L'Espoir du port de commerce vers la place de la Liberté. Bien des brestois entourent le symbole d'une ville entière.


Voici le sablage obligatoire avant de fixer les couches de peintures jaune et rouge (couleurs de la Sobréna) sur les flancs de l'étrave. L'Espoir II est fringant pour les manifestations de soutien aux salariés en attente d'un repreneur qui sauve l'essentiel ... c'est-à-dire les emplois et la structure abandonnée par le groupe Meunier. Les femmes sont accompagnées de leurs enfants afin de soutenir les hommes. Serge Boubennec, l'ancien secrétaire de la CGT métallurgie Brest nous indique les raisons du mouvement syndical. Thierry Beuzet et Patrick Landuré, délégués syndicaux CGT à la Sobréna, n'ont pu être interviewés tant leur mission s'avère accaparante. Nous les saluons.

L'ESPOIR devient l'ESPOIR II.

1987 - 2011/2012

Lorsqu'en fin de matinée, du 26 novembre 2011, les klaxons viennent nous rappeler le conflit des salariés de la Sobréna nous ne nous attendons pas à revoir, à redécouvrir l'étrave mythique des Arno de 1987. Oui, cela fait déjà 26 ans que la Sobréna a reprit l'activité de la réparation navale civile du port de commerce de Brest. Les fumigènes de novembre 2011 expriment une sourde colère suite au départ du patron, suite au carnet de commandes vide...La Sobréna c'est fini. La lutte pour sauver les emplois et préserver l'outil est rude, volontaire. Elle dure des mois... jusqu'à la décision de justice qui provoque la reprise du site par le néerlandais Damen Shipyards Group en ce 30 mars 2012. L'essentiel est, sans doute, sauvegardé... Il faut cependant se parler pour une bonne relance de ce chevron industriel brestois afin de rassurer un personnel interrogatif. Alors cette étrave verte L'Espoir devenue la jaune et rouge L'Espoir II a-t-elle influée dans ce combat pour la survie? De par sa présence sur la place de la Liberté oui... dans le sens que ses tonnes d'acier ont interpellé les finistériens. Ils savent que ce secteur est porteur avec des atouts humains et structurels de haut niveau. Le premier bateau de Damen est entré en cale sèche le 16 avril 2012. Cet Alcyon, du groupe Bourbon, est un bâtiment logistique de soutien et de dépollution BSAD... Souhaitons qu'il soit le maillon fort d'une chaîne sans fin. Tout le bassin maritime ose l'espérer... Soulignons que la mise en exergue de L'Espoir II au rond-pont dit Foulques, dans la zone industrielle du port de commerce, permettra d'initier la foule venant aux fêtes maritimes dîtes Tonnerres de Brest 2012. Les personnes la composant auront, très certainement, une pensée particulière pour les tenaces et courageux battants de la réparation navale civile brestoise.

Nota: C'est Jo Hamilton, un ancien, qui a baptisé l'Espoir de 1987. L'Espoir II muni de l'hélice du sablier Penfould, désarmé courant 2011, est baptisé avec force bouteille de Champagne, le 28 octobre 2011, par Emilie Landuré, épouse d'un salarié Sobrena, et par le jeune Loann fils d'un employé de la CCI portuaire.


L'Espoir II prône en plein milieu de la place de La Liberté. Elle est fière, l'étrave, comme le sont les salariés de la réparation navale civile... et pour preuve ils continuent à la travailler et à lui offrir une coque puis un moteur, puis l'hélice du Penfould. Apparait d'entre leurs mains et leur savoir-faire un véritable bateau qui des parvis, au pied de la mairie, irait conquérir les océans les plus rebelles. Ils savent réparés comme ils peuvent construire.


Le temps presse pour toutes ces familles inquiètes, car malgré les rencontres au plus haut niveau, rien ne se décante. Les rages et les tensions sont quotidiennes. Le réconfort vient d'une population en osmose avec cette lutte puisque l'avenir du bassin brestois est en jeu. Les rendez-vous revendicatifs perdurent et ces liens se soudent pour former une chaîne de la fraternité. Ramine le peintre brestois d'origine iranienne se solidarise avec les porteurs d'Espoir II. François Hollande, le candidat, s'enquiert des difficiles conditions de vie professionnelle de ces hommes et femmes de l'ex-Sobréna.


Est-ce que la justice va trancher? Ensembles, oui tous ensembles drainons la population de tous les quartiers afin qu'elle s'associe à nous. Il y a des repreneurs en vue... forçons la main du destin. Un bruit circule pour affirmer que c'est Damen Shipyards Group qui tient la corde. Envoyons leur un message par un lâcher de ballons sur lesquels est inscrit; Venez chez-nous, vous n'aurez pas à le regretter.


Comme indiqué plus haut il semble que le nouveau patron du site brestois soit conscient du potentiel qu'il vient d'acquérir Le carnet de commande semble se remplir et l'EspoirIi peut plastronner au rond-point des Foulques. Sa mission est terminée mais sa présence à un rond-point stratégique du port de commerce rappellera le long et dur combat qu'il a fallu engager. Nous saluons une dernière fois sa masse imposante qui a certainement pesé lors de ses mois de permanence sur la place de la LIBERTE.

Voici terminé ce billet qui se veut un rappel de la détermination humaine. Si vous désirez y ajouter votre vécu et vos sentiments écrivez-nous afin d'affiner encore et encore.Merci à toutes et tous qui avez apporté vos documentations et photos pour sa réalisation. Sans ordre, ni choix particulier: Syndicat CGT, Wiki-Brest, Archives municipales et communautaires de Brest, Philippe Breton, Erwan Guéguéniat, La mise en ligne est l’œuvre de notre bienveillant webmaster Yffic Cloarec. Les textes, les interviews, les vidéos sont de Yffic Dornic. Ce 28 juin 2012 à portde.

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