Oui en effet ! Il était une fois un bien fringant cargo promis à un bel avenir en allant, gaillardement, de ports en escales. Les océans ne sont jamais des havres de paix pour les bâtiments qui les sillonnent. Le mauvais sort a jeté son dévolu sur celui-ci en février 1972. Une violente collision a littéralement stoppé le trajet maritime de ce "Fairwind" naviguant sous pavillon allemand. Un grand bravo à son équipage qui essayât de sauver ce que faire se peut à l'aide d'un colmatage plus qu'ingénieux. Jacques Pouliquen, Jean-Pierre Caradec et Erwan Guéguéniat nous en disent plus. Ce dernier nous rapporte, aussi, la triste fin du Frédéric-Carole.




Alors pour bien saisir l'incroyable tournons-nous vers l'ancien contremaitre des Établissements l'Hermitte. Une partie des chantiers de cette société "sautait" en l'anse de Tritschler parce qu'inscrite dans le plan d'agrandissement du port (nouvelles formes de radoub, nouveaux quais minéraliers, polder à but touristique, zone artisanale). Dessous la falaise de Poullic-Al-Lor, ces récupérateurs broyaient, entassaient, expédiaient tout ce qui pouvait être recyclé. Un véritable capharnaüm existait en ces lieux en dehors du temps.

Nous allions chez l'Hermitte...

Ce chantier de récupération est un souvenir assez marquant des années de disette personnelle. Bien d'autres suivaient le même chemin... Nous ne nous plaignons pas puisque chaque jour ouvré apportait son pain, son boire par la petite manne récompensant notre travail de récupérateurs en chiffons, en cartons, en cuivre, en ferraille, en fonte ou en alu.

Vers 1972 les quais attiraient un agglomérat de gars cherchant une embauche chez les docks. Parfois il y avait des bateaux... parfois il n'y en avait pas. Cependant un bon trafic existait et les cartés puis les familles ou encore les potes réguliers gagnaient bien leur vie. Les crayons griffonnaient des noms pour compléter les équipes... à la tête du client. Nous ne devions pas en avoir... de bonne tête car souvent sur le carreau (pour moi-même çà a évolué ensuite).

ALORS ? La rage au cœur nous allions à la récup dans les décharges sauvages du port de commerce ou sur les remblais qui suivirent. Une véritable mine pour qui savait fouiller, gratter, découper. Estimant suffisante la ramasse nous filions à la carrière de Poullic-Al-Lor afin de brûler les gaines emprisonnant les métaux convoités, de plier les vieux colis, de trier les vieilles frusques. Contents de nous et après un petit coup de rouge bienvenu nous poireautions devant la grille de Chez l'Hermitte.

Les chiens nous aboyaient (brrr...) dans un fouillis régulé de tôles, de tas informes, de grues agonisantes. Le gardien les rentraient au chenil... 13h30: c'était la ruée des quelques 10 ou 20 zigs et donzelles vers la bascule entourée de gadoue. Si çà chiffonnait quelque peu, le peseur cessait et renvoyait à plus tard la pesée. Ici l'on apprenait la patience et ½ heure... 1 heure d'attente nous amenait au verdict de nos efforts. Un bon pour chacune de nos récoltes et, les yeux brillants, nous passions à la paye du jour. Calculant le poids de ce trésor nous repartions siroter un litron, prendre un repas à La Crêpe ou Chez Zliman (nous savions nous laver les mains avant de nous restaurer!). Une petite sieste bien méritée dans un hangar éventré nous retapait avant de reprendre le chemin des découvertes. Chacun cachait son magot et allait, en soirée, se taper une belote, un domino, un tarot jusqu'à poche percée. Un sommeil rempli de rêves utopiques nous renvoyait vers l'embauche où nous pensions être à jamais les vrais Chevaliers de Porstrein.

En décembre 2009 les dockers sont mensualisés et peu nombreux. Les alentours du mirador sont déserts, les fenêtres sont murées, les portes sont fermées. Le chantier n'est plus. Un autre au loin s'est ouvert dans les normes du présent. Nous ne sommes plus là, sans personne pour nous remplacer.

Texte inédit de Yves Dornic sur un un temps de vie à PORTDE.


Avec les remblais, des dizaines d'hectares ont été gagnés sur la mer. Sans arrêt les convois déversèrent des millions de tonnes de cailloux. Nous voyons, sur les photos ci-dessous, des sites disparus en cette vaste opération d'extension portuaire. Les riverains vécurent une énorme mutation visuelle. Leurs maisons se trouvèrent projetées à des centaines de mètres du bord des quais. Des routes, des rails s'installèrent sur les terre-pleins ainsi créés. Alors le "Fairwind", vous savez, ne pesât pas lourd vu son piètre état !


Les voitures nous frôlent, quasiment, lorsque nous allons prendre des photos du site. En-dessous il me semble que les vieilles carènes nous envoient un message. Mais n'est-ce pas le bruit des automobiles circulant sur les vestiges du ''Fairwind" et des "Frégates" qui nous font croire que ? Dire qu'au début cette route s'est affaissée faute d'avoir bien comblé les structures des rafiots. Si vous passez par là saluez donc ces coques ensevelies.


Tous mes remerciements aux archives de Messieurs J. Pouliquen, JP. Caradec, E. Guégueniat, J. Carney, Goulven le cartophile. Merci aux Archives Municipales de Brest et du Télégramme de Brest. Les textes, vidéos, interviews, photos récentes sont de Yffic Dornic. Le web master Yffic Cloarec est toujours pressenti pour une bonne mise en ligne. En ce 15 janvier 2010 un peu frais.